DE PLUS HUMBLE AU PLUS NOBLE

DE PLUS HUMBLE AU PLUS NOBLE

On estime que la consommation du caviar, alors considéré comme un simple plat du quotidien et non pas comme l’élément essentiel de la cuisine de luxe qu’il est aujourd’hui, a atteint son apogée il y a 250 ans.  A cette époque, tout le monde pouvait en effet se permettre de se procurer ce qui n’était qu’un plaisir simple.

Au IVème siècle déjà, Aristote encensait le caviar pour son goût et ses propriétés médicinales. Selon Inga Saffron (auteur du Caviar : The Strange History and Uncertain Future of the World’s Most Coveted Delicacy), en Russie du XIIème le caviar était consommé par la classe ouvrière dans la mesure où son prix n’était pas supérieur à celui du beurre. Ce n’est qu’au XVIIème siècle que les tsars russes commencèrent à en raffoler en conséquence de quoi le meilleur caviar fût peu à peu réservé à l’aristocratie.  Cette tendance se confirme alors pendant les XVIII et XIXème siècles. De son côté la monarchie britannique s’est éprise du caviar dès le Moyen-Âge et en a donc fait un met leur étant exclusivement réservé dès cette époque.

Aux États Unis du XIXème siècle, les rivières étaient pleines d’esturgeons. Dans les salons les plus luxueux, il était alors coutume de servir le caviar gratuitement à la manière de ce qu’il en est aujourd’hui des cacahuètes dans les établissements plus simples pour accroître la consommation d’alcool.

Comme avec tout ce qui est répandu, populaire (et gratuit), ces tendances ont cependant pris fin.  En ce qui concerne le caviar le vent a tourné au début du XXème siècle, où, avec l’augmentation de la population et de la consommation, le caviar n’était plus offert pour accroître la consommation de l’alcool mais est devenu, au moins aux États Unis, un luxe, disponible aux salons, tavernes et restaurants haut de gamme. En France, cette tendance est arrivée un peu plus tard, dans les années 1950 où le nombre des esturgeons dans la Gironde a baissé si rapidement que des mesures ont dû être prises par le gouvernement pour enrayer cette tendance. Peu après, la France est devenue le premier pays du monde à produire le caviar uniquement dans des fermes piscicoles et non dans la nature.

Durant la seconde moitié du XXème, les prix mondiaux étaient tellement élevés que le caviar n’est resté une collation que pour les plus fortunés. Les autres amateurs de caviar furent alors forcés de se tourner vers les œufs de poisson de diverses autres variétés, telles que le béluga, l’osciètre et le baeri, implantés dans des montagnes de l’Oural jusqu’à la mer Caspienne. Leur pêche intensive a cependant fini par déclencher là aussi la disparition de ces espèces en conséquence de quoi elle fut interdite en 2008.  Les fermes piscicoles sont alors devenues l’unique façon durable de produire du caviar autour du monde. Celles qui avaient déjà investi dans la production de caviar d’esturgeon ont alors rapidement fait fortune.

Il faut enfin garder à l’esprit que, même si le caviar était consommé très couramment jusqu’au XXèmee siècle, c’était à la maison – tout simplement, avec une cuillère, peut être avec les mains, servi sur du pain et avec du beurre, ou encore sur des blinis – mais toujours dans sa propre salle à manger. C’est grâce à Jacques Nebot, que, dans les années 1970, les restaurants en France et autour du monde ont commencé à servir du caviar, mélangé dans des gelées, des sauces ou monté sur des concassés et des Saint-Jacques.